Mehmet Issa N’Diaye : « Il faut penser autrement la politique cacaoyère en Côte d’Ivoire »
Après une formation au MIT (Massachusetts Institute of Technology) et à l’École de Guerre Économique de Paris (EGE), un début de carrière à Wall Street et une expérience de trader senior au Conseil café-cacao de Côte d’Ivoire.
Mehmet Issa N’Diaye est aujourd’hui à la tête de BlackPearl, une société basée à Abidjan et spécialisée dans le conseil stratégique, l’investissement et la levée de fonds.
Pour Ressources, ce fin connaisseur de la filière cacaoyère et de ses enjeux a accepté de parler sans langue de bois de la brûlante actualité des fèves ouest-africaines, proposant des pistes de réflexion et d’action qui sortent des sentiers battus.
La présente note a été réalisée sur la base de l’interview réalisée par le Magazine RESSOURCES avec Monsieur Mehmet Issa N’DIAYE, Directeur G5néral du cabinet BlackPearl
- SITUATION ACTUELLE DE LA FILIERE
En matière de cacao comme ailleurs, l’histoire se répète : ce qui se passe actuellement est déjà arrivé en 1979 et à la fin de la décennie 1980 avec la « Guerre du cacao ».
L’impression générale est que l’on est dans la réactivité plutôt que la proactivité. Le revirement du Conseil du Café-Cacao (CCC) et du Cocoboard était prévisible : stopper les ventes n’est pas une bonne tactique, car on parle ici d’une commodité périssable.
Certes le marché pourrait frémir sous l’effet d’annonce et les cours remontés temporairement, mais si l’on garde ce cacao trop longtemps, il finirait par se déprécier et devrait être revendu à un prix minoré.
Cette initiative avait d’autant moins de chances d’influencer durablement le marché que les industriels disposent de ce que l’on appelle des stocks tampons, entreposés à Amsterdam, Rotterdam ou Anvers, qui couvrent un an à un an et demi de production et représentent l’équivalent de 2,5-3 millions de tonnes.
On ne peut pas gérer le cacao comme on gère le pétrole. Dans cette optique, l’idée d’une « OPEP du cacao » ne me semble pas viable à long terme.
Mieux vaudrait opter pour une « De Beers du chocolat », comme je le mentionnais dans un article paru il y a trois ans dans Jeune Afrique
En effet, on n’a pas affaire à une denrée vitale – le chocolat reste un produit de luxe –, contrairement au pétrole dont on a besoin tous les jours. Il faut non seulement prendre en compte la nature de la matière première, mais aussi ses propriétés chimiques.
Dans les meilleures conditions, le cacao se conservera trois à trois ans et demi, tandis que le pétrole a une durée de vie qui se compte en millions d’années.
A date, il n’y a pas de marché international de référence de la masse comme il en existe pour les fèves de cacao en référence au marché de Londres et sa livre sterling.
En outre, le commerce international n’est pas un rapport de force, mais plutôt une relation donnant-donnant où chacun doit pouvoir trouver son compte.
Relativement à la grande menace de la filière, des études extrêmement poussées sont actuellement réalisées par certains grands groupes sur la capacité de remplacer le beurre de cacao par du beurre de karité, deux à trois fois moins cher
Aussi, la politique de taxation sur le cacao, à travers la parafiscalité, impacte grandement à la compétitivité de la filière ivoirienne.
In fine, il faudrait repenser la filière, en capitalisant sur les acquis de la réforme cacaoyère entreprise en 2012.
Pour cela, quelques questionnements ont été soulevés pour la mise en place d’une politique cacaoyère durable et inclusive, à savoir :
Qu’attend-on de l’industrie cacaoyère dans les dix, quinze, vingt ans à venir ?
Comment mitige-t-on le risque lié aux opérateurs nationaux et internationaux ?
Quel marché du cacao mettre en place dans la perspective d’une transition du franc CFA vers l’ECO (nouvelle monnaie unique des quinze pays de la CEDEAO dont l’entrée en vigueur est prévue pour le 1erjuillet 2020, NDLR), dont la Côte d’Ivoire et le Ghana feront partie intégrante ?
Si le cacao ivoirien est si prisé des industriels, c’est parce que son goût neutre constitue une bonne base pour les mélanges.
- PROPOSITIONS
A titre de recommandations, les actions ci-après pourraient participer à la mise en place d’une politique cacaoyère inclusive :
- Mettre en place de bonnes politiques d’identification des plantations.
- Mettre en place de grosses faîtières avec des membres clairement identifiés en fonction de l’importance des treize délégations régionales.
- Structurer les coopératives de façon à ce que les planteurs puissent bénéficier d’un revenu minimum, d’une sécurité sociale, d’une assurance, ou encore d’un accès élargi au financement.
- Promouvoir la qualité au lieu de la quantité de la production de fèves et du beurre de cacao
- Penser à détruire les parcelles issues des forêts classées et les reboiser
- Opter pour la transformation tous azimuts des fèves de cacao, en se focalisant par exemple sur la transformation primaire (masse de cacao)
- Doter chaque région d’une unité de transformation du cacao en masse, dont l’actionnariat se partagerait entre l’État, les faîtières et les industriels, dans un partenariat gagnant-gagnant.
- Créer un tout nouveau marché de la masse dénominé en ECO qui permettrait de générer de la valeur ajoutée, et diminuer la parafiscalité. On peut imaginer un marché de référence à Abidjan ou Accra, qui déterminerait et paierait le bon prix aux planteurs auxquels on assurerait ainsi un revenu minimum garanti
- Valoriser les produits dérivés (cabosses de cacaoù) en identifiant et en ciblant bien les besoins réels des marchés local et régional.